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L'esprit de Tibhirine, et autres récits - Page 5

  • Irak : éviter l'indignation sélective

    Depuis quelques semaines, je suis partagé entre soulagement et agacement.

    Soulagement de voir que des personnes ont, par leurs voyages courageux sur place (cardinal Barbarin) ou par leurs articles (journalistes français), permis que soit mieux connue la situation dramatique des chrétiens d'Irak, expulsés sans ménagement des zones sous contrôle de l'organisation djihadiste de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EEIL).

    Agacement aussi, devant la relative focalisation des discours (politiques, religieux, médiatiques) sur le sort malheureux des seuls chrétiens d'Irak.

    Sur ce point, je souhaiterais développer ici une réflexion personnelle et exprimer mon malaise ou mes craintes, en tant que citoyen français, et à la lumière de récents échanges avec le public lors d'une tournée en Italie.

    Les déprédations de l'EEIL ne concernent pas les seuls chrétiens d'Irak. Comme l'attestent les rapports de plusieurs organisations présentes sur place, dont Amnesty international, les djihadistes s'en sont pris à d'autres minorités, yezidi et shabak notamment, ainsi qu'à des sunnites ou des chiites (avec des destructions de mosquées et l'assassinat d'un professeur musulman qui prenait la défense des chrétiens d'Orient, comme l'a indiqué par ailleurs Mgr Barbarin). Ces mêmes sources évoquent des prises d'otage et des morts. Il n'y a pas eu de mort rapportée chez les chrétiens d'Irak. Loin de moi l'idée d'établir une quelconque hiérarchie dans la souffrance sur la base d'une comptabilité aussi macabre que déplacée. Je me borne à constater que la mobilisation et l'indignation (y compris politiquement) sont restées jusqu'à présent assez sélectives, même si je me doute qu'il est peut-être plus simple pour l'Eglise catholique, en raison des liens déjà existants, d'établir des contacts avec les chrétiens d'Orient, qu'avec d'autres communautés minoritaires sur place.

    Il ne faudrait pas pour autant que s'enracine dans la tête des Occidentaux, l'idée que les persécutions viseraient une seule catégorie de population en Irak. Ce serait prendre le risque d'alimenter, une fois de plus, le fantasme d'un "choc des religions", avec des conséquences fâcheuses pour les relations fraternelles au quotidien là où nous vivons.

    Il ne faudrait pas non plus que s'enracine dans la tête de ces mêmes Occidentaux, l'idée que les chrétiens seraient plus dignes d'être aidés que les autres. Gare à cette solidarité "communautariste" qui peut porter à tendre la main aux membres de sa famille et à laisser mourir ceux qui n'en font pas partie!

    Que les chrétiens d'Irak soient persécutés en raison de leur différence religieuse, c'est indiscutable et effrayant. Il s'agit d'une atteinte à l'humanité tout entière.

    Mais dans la solidarité qui s'exprime à leur égard, c'est l'homme profond que l'on doit viser - sans distinction de race, de religion, d'opinion politique. Tout autre attitude reviendrait à établir une gradation dans la valeur de la vie humaine, calquée sur les orientations religieuses de telle ou telle personne. Nul ne peut se proclamer meilleur que les autres sans prendre le risque d'adopter le point de vue de l'agresseur. Les chrétiens d'Irak sont comme nous tous : ils ont leurs qualités, leurs défauts. J'imagine qu'ils ne sont pas parfaits et, vous me pardonnerez cette formule un peu provocatrice, mais je ne me souviens pas que Tarek Aziz, par exemple, ait eu une attitude exemplaire du temps de la déportation des Kurdes chiites par Saddam Hussein (il purge une peine de prison pour ce motif). Pour revenir à la France, et à une période plus récente : qui s'est mobilisé, qui a réagi, lorsque 400 yezidi (entre autres) ont été tués le 14 août 2007 en Irak dans les plus sanglants attentats commis dans le monde depuis le 11-Septembre 2001?

    Au mois de mai, j'intervenais à Lodi, près de Milan, pour évoquer l'expérience de dialogue entre moines catholiques et population musulmane à Tibhirine (Algérie) et à Midelt (Maroc). Pendant la séance de questions/réponses, un prêtre italien qui a vécu au Niger s'est agacé de ce que les gouvernements occidentaux n'agissaient pas pour aider les chrétiens persécutés en Afrique et au Moyen-Orient.

    Ce à quoi je lui ai répondu que, si ces persécutions étaient aussi indéniables que scandaleuses, des chiites et des sunnites s'entretuaient également en Irak, les civils payant un lourd tribut à ces affrontements. Et que notre préoccupation devait être de trouver les moyens d'aider les enfants, femmes et hommes de ces pays, quelles que soient leur religion et même, leur absence de religion.

    La solidarité qui s'exprime à sens unique, n'est plus de la solidarité. Elle peut même, si l'on n'y prend garde, alimenter les guerres de demain, nos intentions fussent-elles les plus bienveillantes du monde.

    Réfléchissons-y!

    Nicolas Ballet

    (reproduction de ce texte autorisée avec mention de la source)

  • Hommage à Benoît Duquesne

    Je souhaiterais ici adresser, avec la communauté de Midelt, mes plus sincères condoléances à la famille du journaliste Benoît Duquesne, décédé brutalement d'une crise cardiaque près de Paris - où je me trouve aujourd'hui. Benoît Duquesne m'avait reçu avec trois autres invités en février dernier sur la chaîne Public Sénat pour un débat sur le thème "Qui a tué les moines de Tibhirine?" J'avais été impressionné par son professionnalisme, son esprit de synthèse, sa compréhension ultra rapide des enjeux d'un dossier complexe; profitant des dix minutes de sa séance de maquillage avant l'émission, il avait posé aux uns et aux autres toutes les questions qu'il fallait pour se faire une idée des événements de l'époque. Je conserve le souvenir d'un homme très chaleureux et accueillant. En partant, je lui avais offert le poche de L'esprit de Tibhirine, qu'il avait feuilleté avec beaucoup de curiosité : on sentait que son intérêt pour les autres n'était pas feint. Nicolas Ballet

  • Midelt : moine, ancien marathonien, et dans la course au dialogue

    download.jpgUne fois par semaine, il chausse ses baskets pour une petite heure de course au pied du Haut-Atlas marocain. A travers les villages en pisé, des ribambelles d'enfants l'accompagnent en courant sur quelques centaines de mètres, avant d'abandonner, hors d'haleine. Il faut le suivre, ce moine à la foulée peu orthodoxe, et pourtant diablement efficace! Jean-Pierre Flachaire, le prieur du monastère Notre-Dame de l'Atlas au Maroc, reste aussi attaché à son passé de marathonien, qu'au "dialogue de vie" avec l'islam. Aussi tient-il particulièrement à cette sortie sportive hebdomadaire. Non pas pour "montrer ses muscles", mais bien pour témoigner une simple fraternité à l'égard du voisinage par les "salam aleikoum" et les sourires complices échangés. Le père Flachaire a quitté depuis des lustres le domaine de la compétition - il se souvient d'avoir couru avec le champion Alain Mimoun (décédé en 2013), et même de l'avoir battu. De cette époque, l'ex-coureur de l'ASAD Montélimar a conservé le goût des ascensions difficiles (dans les montées, il était paraît-il imbattable!) et un sens éprouvé de l'effort intérieur. Quoi de plus impressionnant pour les musulmans de Midelt, si soucieux de s'exercer au grand jihad (effort intérieur) qui fait la beauté de leur foi? Ainsi le sport devient-il, par le hasard d'un parcours personnel, outil d'un échange avec d'autres cultures, d'autres religions, en même temps que la promesse de belles rencontres. Il y a quelques mois, Jean-Pierre Flachaire faisait comme tous les matins son marché à Midelt lorsqu'il a été abordé par un inconnu qui l'avait entendu parler français. "Tu es Français?" lui demande ce vieux Marocain avant de lui raconter : "Moi, j'ai été militaire et international de course à pied. J'ai souvent couru avec Alain Mimoun". L'homme s'appelle Hamza el Hamzaoui. Il fut un grand champion de la France des années 1950. Il avait combattu, auparavant, pour la Libération de la France - en Italie, en Alsace, à Marseille. A 93 ans, il ne peut désormais plus se rendre à la mosquée et reste dans sa maison de Midelt, où il reçoit de temps en temps la visite de Jean-Pierre Flachaire. Touchante histoire, et belle amitié, comme il s'en vit tant, chaque jour, sans bruit, autour de ce monastère où réside frère Jean-Pierre Schumacher, le dernier survivant de Tibhirine (... qu'il m'est arrivé plusieurs fois de surprendre à piquer un petit sprint dans la cour intérieure pour ne pas rater un office, après s'être attardé à discuter avec des visiteurs!).

    Nicolas Ballet

    Cet article peut être reproduit avec la mention d'origine : "blog L'esprit de Tibhirine, tenu par Nicolas Ballet"

    En hommage à ce Midelti, le père Flachaire vient d'éditer un petit fascicule racontant la vie de Hamza el Hamzaoui. On y retrouve d'abondantes photos, tirées des archives personnelles de l'athlète franco-marocain. Ce fascicule est disponible au monastère de Midelt.

  • Reportage à Midelt dans l'hebdo "Réforme"

    En avril dernier, le journaliste et auteur Pierrick Eberhard m'avait accompagné au monastère de Midelt. Je m'y étais rendu pour remettre à frère Jean-Pierre des lettres à l'occasion de ses 90 ans. L'article de Pierrick Eberhard est à lire cette semaine dans l'hebdomadaire protestant "Réforme" (www.reforme.net)

    Nicolas Ballet

  • Regarder l'islam autrement avec le dernier moine de Tibhirine : conférence jeudi 5 juin à Villeurbanne

    Jeudi 5 juin, à partir de 20 heures, à Villeurbanne (Rhône), je donnerai, à l'invitation des francs-maçons de la Grande loge de France, une conférence, accompagnée d'une vidéo-projection, sur le thème "Regarder l'islam autrement avec le dernier moine de Tibhirine". L'actualité dramatique de ces derniers jours se focalise sur les jihadistes français en Syrie. Elle renforce la nécessité de faire connaître les expériences positives de dialogue et de rencontre menées ici et là, au moment où certains extrémistes tentent d'instrumentaliser les religions au service de causes qui leur sont étrangères.

    Nicolas Ballet

    Lieu de la conférence :  2, rue Edouard-Aynard (à l'angle du 76, cours Tolstoï). Bus C3, arrêt "Verlaine".

    Le livre L'esprit de Tibhirine (Seuil et Points Sagesses) sera vendu sur place par la librairie Saint-Paul