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  • En 1638, un religieux fondait le premier Etat laïque : une expérience utile pour l'islam de France

    En décembre de cette année, on fêtera le 110e anniversaire de la loi française de séparation des Eglises et de l’Etat. Mais qui sait qu’une colonie britannique avait été pionnière dans le domaine de la liberté de conscience, dès le XVIIe siècle, en Amérique du Nord, à l’initiative d’un pasteur baptiste? Pour l'historien et sociologue Jean Baubérot, cette expérience pourrait être utile pour diffuser une vision plus accrocheuse de la notion de laïcité parmi les Français de confession musulmane et les autres résidents adeptes de cette religion. 

    En ce temps-là, les Etats-Unis n’étaient pas encore les Etats-Unis. Mais une forme de modernité émergeait déjà sur la côte Est du continent nord-américain, dans la colonie du Rhode Island. C’est au XVIIe siècle, dans la ville de Providence, qu’a surgi l’une des premières expériences concrètes de laïcité, bien avant la Révolution Française, et trois cents ans avant que notre loi ne proclame en décembre 1905 la séparation des Eglises et de l’Etat.

    Cette histoire méconnue du grand public, est ressortie des tiroirs par Jacques Buchhold, théologien et cofondateur à Lyon, dans les années 1980, de l’église évangélique «La Bonne Nouvelle». Dans un ouvrage collectif (1), il raconte des bribes du parcours hors-norme du pasteur baptiste britannique Roger Williams, l’un des pionniers de la laïcité. Ce dernier fut à l’origine en 1638 du pacte constitutionnel de Providence, que des spécialistes considèrent comme la matrice du «premier Etat laïque du monde occidental» – le Rhode Island.

    «C’est la volonté de Dieu que soit garantie à tous, dans chaque nation et dans chaque pays, la liberté des consciences et des cultes, même ceux des plus païens, des Juifs, des Turcs [les musulmans] ou des antichrétiens» écrivait à l’époque Roger Williams. "A l’inverse de nombreux puritains, «(ce pasteur) exigeait d’ailleurs que l’on achète les terres aux Indiens, et non qu’on les leur confisque», nous précise Jacques Buchhold. Mais pourquoi donc ce désir forcené de sa part, d’implanter un embryon de «laïcité» (le terme n’existait pas encore tel que nous le connaissons), dans le Nouveau Monde? Etait-ce pour des raisons stratégiques? Il semble que non. Selon Jacques Buchhold, le pasteur Williams ne faisait qu’appliquer le Nouveau Testament : «Les textes, notamment chez saint Paul, sont explicites : la foi ne peut être que le fruit de la conviction, jamais de la contrainte.» De même, dans la théologie baptiste, le baptême ne peut-il être imposé à la naissance; il relève d’une démarche personnelle : «Cette conception des choses laïcise déjà l’approche de la société» estime Jacques Buchhold.

    La question de savoir si l’expérience de Providence a pu influencer ou non les pères de la Révolution Française reste ouverte. «Elle a eu en tout cas un effet important aux Etats-Unis, car le Rhode Island avait refusé de signer la Constitution, jusqu’à ce que le Premier amendement reconnaisse la liberté de conscience», affirme Jacques Buchhold. L’héritage va plus loin : la célèbre formule du «Mur de séparation» nécessaire entre l’Etat et l’Eglise est attribuée au président Thomas Jefferson, alors que ce dernierl’a empruntée à Roger Williams!

    «Ce pasteur est l’un des principaux inventeurs de la laïcité et il a appliqué ces principes quand il a exercé des responsabilités civiles», souligne de son côté Jean Baubérot, sociologue spécialiste de la laïcité (2). «A mon avis», me déclare Jean Baubérot, «une laïcité dont on admettrait que Williams a été une des origines, au lieu de croire que tout vient des Lumières françaises, serait plus facile à comprendre et à intérioriser par des musulmans aujourd’hui».

    Nicolas Ballet

    (1) Libre de le dire : fondements et enjeux de la liberté d’expression en France (BLF éditions, 11,90 euros)

    (2) Préface au livre Roger Williams, genèse religieuse de l’Etat laïque (Labor et Fides, 18 euros)

  • Un imam retraduit des passages du Coran pour les rendre plus "soft"

    « Etrange... Comme c’est étrange… » On l’imagine plisser le front et se gratter les tempes, courbé au-dessus de versets en apparence antagonistes. À force de lire le Coran dans différentes versions françaises, et de les comparer avec le texte originel en arabe, Réda Kadri a relevé « des contradictions » flagrantes dans la traduction de certains mots. C’est ce qui a conduit ce Franco-Algérien de 44 ans à élaborer une méthode nommée « Alac », acronyme d’«Apprentissage de la langue arabe coranique », qu’il vient de présenter au temple protestant de la rue Lanterne (Lyon 1er ), après avoir fait de même – notamment – à la grande mosquée de Saint-Etienne et à la mosquée de Saint-Fons (Rhône).

    Ce travail, « toujours en cours », est enseigné à des élèves « de tous âges » qui fréquentent son centre culturel de la mosquée Co-Adhérence, un petit lieu de culte situé dans la zone industrielle Sud-Est de Vénissieux. Ex-imam à la mosquée de Saint-Priest, et ex-professeur d’arabe classique dans des associations, Réda Kadri se base sur la linguistique pour essayer de résoudre une équation complexe : arriver à donner une lecture positive de certains versets en français, sans toucher au Coran qui ne souffre, pour les musulmans, aucune discussion dans la mesure où ce Livre sacré est récité comme étant la parole de Dieu même.

    Des termes revisités : l’exemple du verset 34

    Pour mieux comprendre, voici un exemple de la méthode de Réda Kadri appliquée au verset 34 de la « Sourate des femmes », où il est dit (traduction de Mohammed Hamidullah, entre autres) : « Pour celles qui se montrent insubordonnées […] si c’est nécessaire, frappez-les ». Réda Kadri a isolé le verbe traduit par « frapper » : dans le texte en arabe, c’est le mot-racine DaRaBa qui est utilisé. « Ce terme DaRaBa apparaît 58 autres fois dans le Coran et il y prend chaque fois le sens de se déployer pour agir efficacement. Il n’y a donc pas de raison de le traduire par battre les femmes, dans cette sourate ! » estime-t-il. D’autres termes sont ainsi revisités, selon la même logique. Sauf que la méthode paraît trop peu rigoureuse à des experts du Coran, contactés par mes soins. Ainsi, « DaRaBa ne signifie se déployer pour agir que quand il y a le complément fî l-ard (« partout sur Terre ») », argumente ce grand islamologue qui requiert l’anonymat. Selon lui, « il vaut mieux garder le sens originel et contextualiser : c’est ainsi que l’on faisait en Arabie au VIIe siècle ».

    Difficile, en effet, d’ignorer l’histoire de l’émergence parfois houleuse de l’islam – des batailles sanglantes en témoignent, que ce soit avec certaines tribus juives ou avec d'autres, chrétiennes –, dans « l’Arabie » tribale qui était celle du Prophète Mohammed (1). Face aux critiques, Réda Kadri affirme l’urgence de diffuser une méthode claire et assimilable, en réaction aux tensions actuelles : « Daesh (l’État islamique, ndlr), ce sont des extrémistes que l’on doit empêcher de dégrader notre bien commun. Nous, on leur répond avec le Coran. »

    L’imam dit avoir fait l’objet d’agressions verbales de la part de salafistes. Sans lui vouer d’hostilité, des musulmans orthodoxes le considèrent, eux, un peu comme un « illuminé », « sans représentativité » : « Lyon compte des sommités mondiales de l’islamologie, comme Maurice Gloton ou Ali Mérad. Ce sont des gens humbles et discrets dont il est dommage que les médias ne parlent pas ! », regrette un imam. Au moins, la démarche généreuse de Réda Kadri – si imparfaite soit-elle – a-t-elle le mérite de montrer le visage d’un islam en mouvement. Et c’est le cas dans bien d’autres mosquées du Rhône. A la mosquée Co-Adhérence, sauf les jours où l'affluence est importante (2), les femmes prient d'ailleurs dans la même salle que les hommes, sans rideau ou cloison de séparation.

    Nicolas Ballet (copyright Le Progrès)

    (1) Rappelons que le Premier Testament repris à leur compte par les chrétiens comporte aussi bon nombre de passages qui pourraient être considérés comme violents (lapidation...etc).

    (2) Les hommes sont toujours placés devant les femmes et si la salle est pleine, ces dernières se retrouvent donc à l'extérieur.

  • Le récit inédit de ma rencontre avec François Michelin

    Mardi 9 mars 2010, grâce à un ami auquel je dois beaucoup, j'ai eu le "privilège" de rencontrer longuement, à titre privé, l'ex-patron du leader mondial des pneumatiques sur ses terres d'Orcines, près de Clermont-Ferrand. Il était alors âgé de 83 ans et en pleine possession de ses capacités intellectuelles.

    Je n'étais pas envoyé par ma rédaction pour un reportage mais c'était en partie en raison de mon suivi de l'actualité sociale (que je ne couvre plus, depuis) et religieuse au Progrès, à Lyon (ville du "Primat des Gaules"), que François Michelin s'était montré intéressé par la perspective d'échanger avec moi.

    François Michelin, décédé mercredi à l'âge de 88 ans, était un patron chrétien, souvent décrit comme très secret et peu accessible. Il ne recevait plus de journalistes les dix dernières années de sa vie. La mort accidentelle de son fils, Edouard, désigné comme son successeur, l'avait fait se replier sur lui-même. Son épouse était alors gravement malade. On le sentait, plus que jamais, préoccupé par les questions liées à la spiritualité. L'homme que j'ai eu face à moi avait beau être un très grand patron, il n'en était pas moins très ordinaire. Extrêmement simple et affable. Mais aussi et surtout, très sensible, au point d'avoir parfois les larmes aux yeux, à l'évocation de certains souvenirs personnels. Il était enfin plein d'humour et d'auto-dérision, bien loin de l'image austère que certains journalistes très (trop) militants avaient pu lui accoler sans jamais l'avoir rencontré (ou alors avec tant de présupposés et d'agressivité que l'échange ne pourrait que tourner court...)

    Quelques mois après ce déjeuner, François Michelin m'avait appelé pour me dire qu'il avait lu l'enquête que j'avais publiée dans Le Progrès sur l'histoire "lyonnaise" des moines de Tibhirine et que ces moines constituaient pour lui "une boussole dans sa vie" et une réponse à l'islam (qu'il tendait à voir de façon monolithique, comme beaucoup de chrétiens de sa génération) religion pour laquelle il montrait, c'est le moins que l'on puisse dire, très peu d'affection : les fondements en étaient, selon lui, meurtriers.

    Dans le long récit, totalement inédit, de l'échange du 9 mars 2010, publié hier par Le Progrès (cf. lien Internet ci-dessous, en libre accès), il ne sera toutefois pas question de l'islam. Car ce sujet n'avait alors pas constitué le coeur de la discussion, à teneur davantage "philosophique". Celle-ci avait porté, principalement, sur l'Homme et sur l'excès de matérialisme qui ronge notre temps. C'est sur ces thèmes que François Michelin m'avait paru, du fait de son expérience de chef d'entreprise paternaliste et de sa foi chrétienne vécue dans le siècle, le plus profond. Bonne lecture!

    http://www.leprogres.fr/france-monde/2015/04/30/francois-michelin-les-confidences-d-un-patron-tres-secret

    Nicolas Ballet