A la librairie Leo/La Procure, réactions de Christian Delorme et d'autres futurs lecteurs
Christine Lopez, de la librairie Léo/La Procure (rue Henri-IV, Lyon 2e) et le père Christian Delorme, le jeudi 6 septembre 2012, jour de la sortie du livre L'esprit de Tibhirine (Seuil).
Il fait beau ce matin à Lyon. Quelques rares nuages blancs parcourent un ciel d'un bleu profond. Exactement comme lorsque j'ai fait poser frère Jean-Pierre, dernier survivant des moines de Tibhirine, devant la chaîne de l'Atlas, en février dernier, à Midelt au Maroc. Cette photo est devenue la couverture du livre que Christine Lopez, la libraire de Léo/La Procure (rue Henri-IV, Lyon 2e), déballe précipitamment, ce matin, dans ce commerce refait à neuf pendant l'été. J'ai choisi d'aller découvrir "notre" livre (pensées pour la communauté de l'Atlas, mais aussi à l'éditeur, et en particulier à Elsa Rosenberger, Marie Lemelle-Ligot, Hugues Jallon, Sophie Choisnel, Catherine Hermann et Claudine Soncini) dans cette librairie-là, entre autres parce que mon grand-oncle maternel, l'abbé Michel Chartier, secrétaire de Joseph Folliet à la Chronique Sociale puis responsable de diverses publications de l'épiscopat à Dakar (photo ci-contre : dans les locaux de la revue Afrique Nouvelle, en 1960, dont il avait la responsabilité), et en France, y avait ses habitudes. Sans lui, ce livre n'aurait pas existé... Il fréquentait assidûment l'abbaye d'Aiguebelle où il avait croisé, parfois, certains des moines assassinés plus tard en Algérie.
Une petite pile du livre L'esprit de Tibhirine est posée sur un présentoir, au milieu de la librairie. Frère Jean-Pierre est en bonne compagnie. Un mystique - le dernier ouvrage de Michael Lonsdale (qui avait incarné frère Luc dans le film Des hommes et des dieux) est juste en dessous; et un combattant : le livre L'abbé Pierre, fondateur et rebelle est à côté. Tibhirine, une mystique du combat?
Dès 10 heures, des clients sont là. Certains attendaient impatiemment la sortie. Comme le père Christian Delorme, artisan du dialogue avec l'islam, qui cherche désespérément l'ouvrage en rayon. "Ben alors? Il est où le bébé?" La libraire est en train de le déposer devant lui. Il regarde la couverture, comme s'il avait frère Jean-Pierre et les sommets de l'Atlas face à lui. "C'est beau. On reconnaît bien le Maroc. Et frère Jean-Pierre est comme entre ciel et terre. J'y vois évidemment un symbole. La vocation des moines est de faire le lien entre les deux. Son visage est buriné. On ne sait plus s'il est d'Occident ou d'Orient". Mais pourquoi, lui, le père Christian Delorme tient-il à lire ce livre? "Je n'attends pas de révélations sur les auteurs du crime de Tibhirine. Ce témoignage peut aider à mieux sentir la singularité de ce monastère. Ce sont des moines qui ont ouvert et continuent d'ouvrir des voies nouvelles dans la rencontre entre le Christ et les musulmans, pour une fraternité entre les pays des deux rives de la Méditerranée. Ils sont morts pour l'Algérie, en communion avec les 150000 victimes de la guerre civile algérienne. A travers un témoignage comme celui de frère Jean-Pierre, les lecteurs seront amenés à découvrir, j'imagine, l'amour donné par ces hommes. On a beaucoup parlé de Christian de Chergé en raison de son rayonnement exceptionnel, ou de frère Christophe, pour ses poèmes. Il est bien de pouvoir connaître les autres moines. Et frère Jean-Pierre, qui a échappé à l'enlèvement, peut nous aider à entrer dans l'intimité de la vie de la communauté". Le père Christian Delorme repart avec trois exemplaires sous le bras, non sans avoir au préalable dédicacé son livre "L'islam que j'aime, l'islam qui m'inquiète", à une lectrice qui l'avait reconnu. La conversation s'engage entre eux, sur les possibilités d'un dialogue ou non avec les musulmans. Ils ne sont pas d'accord sur tout. Mais ils parlent et ils échangent. C'est l'essentiel.
Une autre fidèle de Léo/La Procure se présente à la caisse avec L'esprit de Tibhirine. Elle a entendu parler de la sortie du livre dans l'hebdomadaire La Vie, qui en a fait la recension dans son édition du 30 août - le journaliste Charles Wright avait consacré un reportage - sensible et joliment illustré - au monastère de Midelt, dont la spiritualité des mélanges et des hauteurs l'a visiblement conquis. Marie Simon, future lectrice du livre, se dit simplement "intéressée par les démarches d'espérance dans ce monde de violences". "Je suis fascinée par la manière dont frère Jean-Pierre parle du pardon. C'est extraordinaire. Il faut aller au-delà de nos rejets de l'autre. Son témoignage s'adresse au monde actuel, où se passent tant de choses terribles. Si des hommes n'étaient pas capables de nous dire qu'il y a une étoile au bout du chemin, où irions-nous?" Deux autres lectrices s'approchent pour poser des questions à leur tour. Elles achètent le livre également.
Christine Lopez, la libraire, ne l'a pas encore lu (le commerce, je l'ai déjà dit, était en chantier tout l'été, et c'est la course pour la rentrée). Mais elle s'empresse de passer commande de vingt autres exemplaires pour ses clients. "Six ventes, déjà! Je vais rapidement en manquer". Elle nous révèle au passage qu'elle a, elle aussi, un lien affectif direct avec Tibhirine. "Mes grands-parents maternels habitaient dans la vallée d'Abondance, en Haute-Savoie. Frère Paul (martyr de Tibhirine) était plombier dans cette vallée. Mes oncles le connaissaient bien. Et ils avaient été bouleversés -positivement- d'apprendre sa décision de devenir moine et d'entrer au monastère de Tamié, en Savoie. Moi-même, j'étais à l'aumônerie avec Odile, l'une des nièces du frère Paul, à Thonon-les-Bains".
Quelques centaines de mètres plus loin, place Bellecour. Le livre est bien en place à la librairie Saint-Paul. Autres personnes. Autres surprises. La responsable m'apprend qu'elle avait séjourné à Midelt, au moment de l'installation des moines héritiers de Tibhirine. Elle avait alors pu rencontrer brièvement les nouveaux "locataires", dont le frère Jean-Pierre...
Tibhirine est une puissante histoire de liens - un "réseau" infini d'êtres humains unis par la curiosité pour ce qui ne leur ressemble pas. Puisse ce livre modestement contribuer à tisser d'autres liens, encore et encore!
Nicolas Ballet
En mémoire de notre ami de vingt ans, qui s'est en tragiquement allé il y a quelques jours. Le lien, avec lui aussi, demeurera. Ce livre sort le jour de sa fête.
(note rédigée sur un jour de repos)
L'esprit de Tibhirine (Seuil), Frère Jean-Pierre, Nicolas Ballet, 214 pages, 17 euros
Pour plus d'informations à propos du contenu de cet ouvrage, lire la note suivante http://nicolasballet.blogspirit.com/archive/2012/08/22/l-esprit-de-tibhirine-est-imprime.html
Commentaires
A Creteil, dans une librairie de quartier, ils ne l'avaient pas encore reçu ce jeudi 6. Librairie ou Fnac? Je préfère le premier choix. J'attendrai alors. Je t'embrasse et souhaite une jolie vie au "bébé"
C'est normal, le périphérique est très embouteillé. Les livres mettent du temps à le traverser.
C'est normal, le périphérique est très embouteillé. Les livres mettent du temps à le traverser.