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  • Un livre profond à partager

    S'il n'y a pas grand-chose de commun entre le propos de son livre et le contenu du présent blog, je souhaiterais faire une exception lyonnaise à la règle que je m'impose en temps normal pour vous inviter à lire l'ouvrage posthume du philosophe chrétien Nathanaël Dupré la Tour, "Une année au foyer" (Ed. du Félin), dont vous trouverez une chronique ici

    Parmi la masse de livres publiés chaque année en France, rares sont ceux qui ont à nous transmettre en des termes simples, le produit de réflexions originales, puisées dans l'expérience du temps présent.

    Une annee au foyer couv.jpgCet ouvrage à la frontière du témoignage et de l'essai apporte, avec humour et distance, des réflexions utiles à notre quotidien (notamment pour envisager différemment les rapports en entreprise - mais pourquoi ne pas l'élargir à tout type de relation). A sa manière, il montre aussi, en creux, ce que les rencontres et les frictions engendrées par ces rencontres, peuvent avoir, au bout du compte, de fécond pour nos vies.

    Je n'oublie pas que son auteur, disparu dans un accident de la route il y a un peu plus d'un an, avait décrit dans son précédent ouvrage "Au seuil du monde" (Félin) le parcours qui l'avait conduit à fréquenter assidûment un monastère pour tenter de rassembler en lui les morceaux épars de son existence.

    Toutes celles et tous ceux passés par Tibhirine ou par Midelt (voire par d'autres lieux) ont pu à un moment ou à un autre, ressentir cette nécessité et ses bienfaits.

    Frère Jean-Pierre avait été très touché par la disparition de ce jeune auteur, dont nous avions ensemble parlé.

    Nicolas Ballet

  • Irak : éviter l'indignation sélective

    Depuis quelques semaines, je suis partagé entre soulagement et agacement.

    Soulagement de voir que des personnes ont, par leurs voyages courageux sur place (cardinal Barbarin) ou par leurs articles (journalistes français), permis que soit mieux connue la situation dramatique des chrétiens d'Irak, expulsés sans ménagement des zones sous contrôle de l'organisation djihadiste de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EEIL).

    Agacement aussi, devant la relative focalisation des discours (politiques, religieux, médiatiques) sur le sort malheureux des seuls chrétiens d'Irak.

    Sur ce point, je souhaiterais développer ici une réflexion personnelle et exprimer mon malaise ou mes craintes, en tant que citoyen français, et à la lumière de récents échanges avec le public lors d'une tournée en Italie.

    Les déprédations de l'EEIL ne concernent pas les seuls chrétiens d'Irak. Comme l'attestent les rapports de plusieurs organisations présentes sur place, dont Amnesty international, les djihadistes s'en sont pris à d'autres minorités, yezidi et shabak notamment, ainsi qu'à des sunnites ou des chiites (avec des destructions de mosquées et l'assassinat d'un professeur musulman qui prenait la défense des chrétiens d'Orient, comme l'a indiqué par ailleurs Mgr Barbarin). Ces mêmes sources évoquent des prises d'otage et des morts. Il n'y a pas eu de mort rapportée chez les chrétiens d'Irak. Loin de moi l'idée d'établir une quelconque hiérarchie dans la souffrance sur la base d'une comptabilité aussi macabre que déplacée. Je me borne à constater que la mobilisation et l'indignation (y compris politiquement) sont restées jusqu'à présent assez sélectives, même si je me doute qu'il est peut-être plus simple pour l'Eglise catholique, en raison des liens déjà existants, d'établir des contacts avec les chrétiens d'Orient, qu'avec d'autres communautés minoritaires sur place.

    Il ne faudrait pas pour autant que s'enracine dans la tête des Occidentaux, l'idée que les persécutions viseraient une seule catégorie de population en Irak. Ce serait prendre le risque d'alimenter, une fois de plus, le fantasme d'un "choc des religions", avec des conséquences fâcheuses pour les relations fraternelles au quotidien là où nous vivons.

    Il ne faudrait pas non plus que s'enracine dans la tête de ces mêmes Occidentaux, l'idée que les chrétiens seraient plus dignes d'être aidés que les autres. Gare à cette solidarité "communautariste" qui peut porter à tendre la main aux membres de sa famille et à laisser mourir ceux qui n'en font pas partie!

    Que les chrétiens d'Irak soient persécutés en raison de leur différence religieuse, c'est indiscutable et effrayant. Il s'agit d'une atteinte à l'humanité tout entière.

    Mais dans la solidarité qui s'exprime à leur égard, c'est l'homme profond que l'on doit viser - sans distinction de race, de religion, d'opinion politique. Tout autre attitude reviendrait à établir une gradation dans la valeur de la vie humaine, calquée sur les orientations religieuses de telle ou telle personne. Nul ne peut se proclamer meilleur que les autres sans prendre le risque d'adopter le point de vue de l'agresseur. Les chrétiens d'Irak sont comme nous tous : ils ont leurs qualités, leurs défauts. J'imagine qu'ils ne sont pas parfaits et, vous me pardonnerez cette formule un peu provocatrice, mais je ne me souviens pas que Tarek Aziz, par exemple, ait eu une attitude exemplaire du temps de la déportation des Kurdes chiites par Saddam Hussein (il purge une peine de prison pour ce motif). Pour revenir à la France, et à une période plus récente : qui s'est mobilisé, qui a réagi, lorsque 400 yezidi (entre autres) ont été tués le 14 août 2007 en Irak dans les plus sanglants attentats commis dans le monde depuis le 11-Septembre 2001?

    Au mois de mai, j'intervenais à Lodi, près de Milan, pour évoquer l'expérience de dialogue entre moines catholiques et population musulmane à Tibhirine (Algérie) et à Midelt (Maroc). Pendant la séance de questions/réponses, un prêtre italien qui a vécu au Niger s'est agacé de ce que les gouvernements occidentaux n'agissaient pas pour aider les chrétiens persécutés en Afrique et au Moyen-Orient.

    Ce à quoi je lui ai répondu que, si ces persécutions étaient aussi indéniables que scandaleuses, des chiites et des sunnites s'entretuaient également en Irak, les civils payant un lourd tribut à ces affrontements. Et que notre préoccupation devait être de trouver les moyens d'aider les enfants, femmes et hommes de ces pays, quelles que soient leur religion et même, leur absence de religion.

    La solidarité qui s'exprime à sens unique, n'est plus de la solidarité. Elle peut même, si l'on n'y prend garde, alimenter les guerres de demain, nos intentions fussent-elles les plus bienveillantes du monde.

    Réfléchissons-y!

    Nicolas Ballet

    (reproduction de ce texte autorisée avec mention de la source)