Message de frère Jean-Pierre aux Italiens : "L'important dans la vie est de rester fidèle à ce que l'on est"
Comment faire partager un peu de la vie des moines de Midelt lors de ma tournée éditoriale en Italie? Le 14 avril 2014 au Maroc, j'avais enregistré une interview vidéo de 10 minutes avec frère Jean-Pierre, le dernier survivant de Tibhirine. Cette interview, je l'ai diffusée à chacune de mes conférences la semaine dernière en Lombardie, où j'ai été formidablement accueilli, je dois le dire, par les librairies Paoline et leurs amis (Milan, Lodi, Brescia/Castenedolo) et par les équipes du Festival international de la Culture (Bergame).
Peut-être mettrai-je en ligne un jour cette vidéo. En attendant, voici sa retranscription, pour vous en faire profiter. Mon but était d'être le plus didactique possible pour un auditoire assez hétérogène et peu au fait de la situation actuelle du monastère. D'où des questions volontairement simples, basiques.
> Frère Jean-Pierre, vous avez fêté en février dernier vos 90 ans. Comment allez-vous?
Je ne peux pas me plaindre. A l'âge que j'ai, je tiens debout, je peux chanter à l'office... Les yeux, ça va encore. Les oreilles, ça va aussi. Donc je ne peux que remercier le Seigneur.
> Dans votre monastère du Maroc, il y a toujours des visites? Vous êtes encore très sollicité?
Oh oui! Beaucoup! Ça doit être l'effet du film "Des hommes et des dieux". Et puis, je suis le dernier survivant. Beaucoup de gens ont le désir de me rencontrer pour parler de ce qui s'est passé pendant les années dangereuses à Tibhirine en Algérie. Ils veulent aussi connaître notre vie, notre idéal religieux et la raison d'être dans un pays musulman.
> Quel est le sens de cette présence? Est-ce pour faire du prosélytisme?
Certainement pas! Notre but n'est pas de convertir les musulmans. Si l'on souhaite une "conversion", pour nous et pour nos frères de l'islam, c'est dans un tout autre sens : faire de soi-même, une meilleure personne, selon les attentes de Dieu.
> Et il ne s'agit pas pour vous de vous convertir à l'Islam?
Non.
> Simplement devenir meilleur...
Oui! Devenir meilleur. On peut dire que l'idéal est de cheminer ensemble main dans la main pour aller vers Dieu. Eux, dans la voie qui leur est propre; et nous, dans la nôtre. L'Islam veut dire : "être soumis à Dieu". Alors nous nous soumettons aussi à Dieu. C'est une entraide mutuelle.
> Comment êtes-vous perçus, ici, par la population musulmane?
C'est difficile à dire... Je crois qu'ils nous perçoivent avant tout comme étant d'une autre religion, d'une autre origine, d'un autre pays, d'une autre culture. Mais en même temps, ils nous voient comme des personnes qui essaient de faire en sorte que l'on soit tous frères les uns avec les autres.
> Et cela se fait par le voisinage immédiat...
Oui. Ce sont les gens que l'on rencontre couramment. Il y a ceux qui travaillent avec nous au monastère, pour l'entretien, pour le service des hôtes. Il y a ceux que le père chargé de faire les courses rencontre en ville. On se rend de menus services mutuellement.
> Ici, les relations avec les musulmans sont bonnes. Dans d'autres pays, c'est plus difficile. En Syrie, un jésuite hollandais, le père Franz, a été assassiné à Homs. Et un autre jésuite italien, Paolo dall'Oglio, a été enlevé. Comment répondre à cette violence?
C'est difficile de répondre à la violence. Il me semble que la seule voie possible, c'est d'être fidèle à soi-même, à ce que l'on est, à sa vocation. Si l'autre, en face, ne respecte pas cela, c'est son problème.
> Cette attitude de fidélité, c'est l'esprit de Tibhirine. Il se propage à travers la publication en Italie du livre "Lo spirito di Tibhirine", votre témoignage et celui de votre communauté. Pour vous, le pape François incarne-t-il l'esprit de Tibhirine?
C'est très difficile à dire aussi! Si nous mettons dans l'esprit de Tibhirine, l'esprit de fidélité à l'Evangile, on peut dire que nous sommes tous dans l'esprit de Tibhirine. A Tibhirine, nous cherchions à vivre de notre mieux l'Evangile, à travers notre vocation propre. Être dans l'esprit de Tibhirine, c'est être dans l'esprit de Jésus.
> Le pape François est attaché ce que fait votre communauté. Il vous a adressé, à vous frère Jean-Pierre, sa bénédiction dans un récent courrier...
Oui... Je ne le connais pas pour savoir quel homme il est! Mais il est sûrement très heureux de constater qu'il y a des vocations contemplatives. Et il les soutient certainement de son mieux. Plusieurs signes montre qu'il aime les contemplatifs. Alors il ne peut que souhaiter que nous soyons contemplatifs de mieux en mieux.
> Nous parlons du pape, de l'Italie. Est-ce un pays que vous connaissez? Y êtes-vous déjà allé?
J'ai eu la chance d'y aller deux fois. C'était après 1996 et la mort des frères de Tibhirine. J'avais été invité à une rencontre avec des jeunes au Vatican. Mais je n'ai pas au l'occasion de visiter beaucoup l'Italie.
> C'est un pays qui compte beaucoup pour le christianisme!
Oui. Et c'est pendant mon enfance que j'ai eu le plus de contact avec lui. Mon père était meunier et nous avions un ouvrier italien qui venait chez nous pour faire divers travaux, comme la maçonnerie. Alors on a eu l'occasion de travailler ensemble!
> L'Italie, c'est une image d'ouverture à l'autre?
L'Italie, c'est le cœur de l'Eglise et de la chrétienté. Cela explique une grande partie de l'amour que l'on a pour ce pays.
> Ce cœur est important pour vous ici?
Oh oui!
> Vous avez prévu de dire un petit mot en italien aux Italiens qui vous regardent...
J'ai appris quelques mots en italien, pas beaucoup, avec cet ouvrier. Alors il y a les mots de salutation : bongiorno!
> Et les mots de remerciement...
Grazie mille! Mais je crois que je n'ai pas l'accent! Et "arriverderci"!
Propos recueillis par Nicolas Ballet à Midelt (Maroc) le 14 avril 2014
(reproduction interdite)