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Les "passeurs de joie" de Tamié

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L'abbaye de Tamié (Savoie) - photo prise par les moines (www.abbaye-tamie.com)

Tant pis si le beau temps n'était pas au rendez-vous. La famille de frère Paul, elle, était bien là! Bonheur de tous les revoir : Françoise, Eric, Annick, Bernadette...etc. Dimanche 15 septembre, ils m'avaient convié à leur repas annuel, dans l'intimité, à l'abbaye de Tamié, en Savoie - hommage discret, entre proches, à leur oncle, leur frère, assassiné en 1996 en Algérie avec les six autres trappistes de Notre-Dame de l'Atlas.

Je suis arrivé la veille dans ce monastère posé au sommet d'une combe : superbe endroit, vu de l'extérieur, comme à l'intérieur. Les moines ont mis un soin infini à l'entretien de ces bâtiments du XVIIe siècle. Tout y est beau, raffiné - je pense, parmi mille autres détails, à ce petit lavabo en cuivre et pierre, digne des Compagnons du Devoir, à disposition près de l'entrée principale, ou encore, à ces plinthes en bois de chêne au réfectoire de l'hôtellerie, que l'on a envie de caresser (et d'ailleurs, on les caresse), tant elles ont été rendues douces par le polissage de ces artisans de Dieu.

C'est donc là que frère Paul, martyr de Tibhirine, est entré comme moine au milieu des années 1980, et que, trente ans plus tard, les acteurs du film Des hommes et des dieux (Lambert Wilson, Jean-Marie Frins...etc) sont venus s'exercer au chant, entonnant le Salve Regina devant la "Vierge à l'enfant" d'Arcabas, dans le choeur de l'abbatiale. Ils auront pu contempler sans doute les superbes créations florales de frère Didier - il avait réalisé une installation pour la mort des Sept de Tibhirine, qu'il a immortalisée sur pellicule (la photographie a été tirée à plusieurs exemplaires pour être offerte à des familles des martyrs de l'Atlas).

Samedi soir, le père abbé italien de l'abbaye, reconnaissable à sa pittoresque et interminable barbe blanche lui donnant de faux airs de Leonardo di Vinci, a réuni un chapitre - l'ensemble de la communauté d'une petite trentaine de moines - pour me permettre de parler un peu du livre et du devenir des frères de Midelt au Maroc. Les chapitres s'ouvrent toujours par la même formule incantatoire, avant que chacun ne prenne place : "Notre secours est dans le nom du Seigneur..." lance l'abbé. "...Qui a fait le Ciel et la Terre" poursuit la communauté. Cela donne beaucoup de solennité à ces réunions.

Le brouillard n'enveloppait pas que la forêt de Tamié ce soir-là. J'étais fatigué et peu opérationnel intellectuellement! Mais en vingt minutes, nous avons essayé de faire le tour de la question. Les moines m'ont demandé si le sujet de Tibhirine continuait d'intéresser ou pas le public, et si les musulmans avaient réagi ou non au livre. A ces questions, j'ai répondu que le public des conférences était âgé de 60 ans et plus, sauf à Dijon en juin, où j'avais aperçu plusieurs étudiants. Et concernant les musulmans, peu de réactions, même si je sais, par des échos indirects, que des Marocains et des Algériens l'ont lu.

J'ai fait brièvement la connaissance à l'abbaye de Tamié de frère Jean-Baptiste, dont j'ai appris qu'il avait passé quatre mois en renfort à Midelt au début tout début de l'arrivée du "petit reste" au Maroc.

Puis passage par le magasin, où est vendu le fameux fromage de Tamié - les moines ne sont plus assez nombreux pour entretenir un cheptel et le lait est acheté dans les fermes environnantes pour fabriquer ce disque crémeux, nous a appris le responsable de la fromagerie, Nathanaël.

C'est l'un de ces fromages de Tamié que frère Paul avait rapporté à Tibhirine, pour ses frères moines, et que l'on avait retrouvé dans le scriptorium, après l'enlèvement.

Frère Paul, un de ces hommes que j'aurais aimé connaître, mais dont, étrangement, j'ai l'impression d'être devenu familier, par la fréquentation de ses proches, devenus au fil des ans des amis : ils présentent plus ou moins avec lui des ressemblances physiques exprimant une même bonté, une même générosité.

Une anecdote tout de même. Ce week-end, ma recherche de cèpes dans les forêts de Tamié n'a rien donné! Le père abbé, lui, en a trouvé plusieurs kilos, tout à fait par hasard. Mais il a eu la tempérance de n'en emporter qu'une petite partie - il y en avait peut-être 20 kilos, là, sous ses yeux.

J'ai aimé apprendre que Frère Paul, amoureux des balades en montagne, s'échappait parfois du monastère (avec l'accord de son supérieur!) pour aller aux champignons.

J'aime les gens qui partagent cet amour des choses simples, des confidences, des éclats de rire. Ce que l'on nomme convivialité.

L'esprit de Tibhirine n'est pas autre chose.

Et il n'est point besoin de mettre, nécessairement, de la religion là-dedans ; chacun fait comme il l'entend.

Lors de l'office de dimanche, un frère a, dans son homélie, cité un poème de Frère Christophe de Tibhirine, intitulé "Passeur de joie".

La famille de frère Paul est de ces "passeurs de joie".

Merci à eux.

Nicolas Ballet

P.-S. Dans le Livre d'or de l'abbaye, une visiteuse allemande écrivait que Tamié est, à une lettre près, l'anagramme de (H)eimat (patrie, en allemand). J'ajouterais : l'Amit(i)é a Tamié pour (H)eimat

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