Midelt (Maroc), au mois de février 2012. L'ancienne Kasbah des Juifs. Le monastère est à gauche, à côté du poteau électrique avant la chaîne de l'Atlas. (Photo Nicolas Ballet; reproduction interdite)
Le portail du monastère Notre-Dame de l'Atlas, à Midelt (Photo N. Ballet, reproduction interdite)
A Midelt, le monastère Notre-Dame de l'Atlas où vit le frère Jean-Pierre, dernier survivant du drame de Tibhirine, est situé à deux pas de l'ancienne "Kasbah des juifs" (photo). Il n'existe plus aucune présence juive dans la ville de l'Atlas, depuis cinq ans et la mort, de sa belle mort, d'un habitant apprécié de tous pour sa mahia (alcool de figues) paraît-il légendaire. Le cimetière juif, gardé par un musulman comme partout ailleurs au Maroc, et protégé par des murs édifiés à la demande du roi, est à 500 mètres. L'un des anciens grands rabbins de Rabat y est enterré. Lors de notre dernier séjour, un grand pélerinage (hilloula) se déroulait dans la région, en présence de centaines de personnes venues du Canada, de France ou d'Israël.
Quelques Midelti ont conservé des photos de cette présence juive extrêmement ancienne et qui a décliné fortement à partir de 1948 (premiers départs pour le Neguev, après la création de l'Etat d'Israël). Dans notre livre, une ancienne habitante de Midelt, qui vit aujourd'hui dans le sud de la France, raconte être partie en 1968. Il semble qu'à cette époque, la population juive fût l'objet d'attitudes inhabituellement agressives de la part de la population locale - une conséquence indirecte des événements au Proche-Orient, peut-être. "Mais en dehors de cette période, la cohabitation a toujours été excellente" dit-elle. Un commerçant musulman, rencontré en février 2012 à Midelt, nous avait expliqué que les Juifs midelti étaient intégrés aux tribus berbères, le nom "Aït" précédant toujours leur patronyme. "Ils étaient comme des frères et nous regrettons beaucoup leur départ, cela mettait de la vie, de l'animation" dit-il.
Lors de l'un de nos entretiens, j'avais posé la question à frère Jean-Pierre sur la disparition de cette présence juive et il m'avait simplement répondu : "Ce serait beau si l'on pouvait avoir un dialogue à trois".
L'ouvrage L'esprit de Tibhirine montre pour la première fois que cette ouverture au dialogue qui est la marque de ces moines partis comme des aventuriers en Algérie en 1964, a des liens, nombreux et profonds, avec le judaïsme. Dans le chapitre 2 de notre livre, qui retrace l'itinéraire spirituel de frère Jean-Pierre, né en Moselle, ce dernier raconte sa très grande proximité avec les familles juives ashkenazes de son village de Buding. Des anecdotes souvent très émouvantes y sont rapportées. Il était marqué par leur spiritualité et leurs gestes de générosité. Des images lui sont restées, comme pour Rosh Hashana.
J'ajouterais celle de la principale prière du judaïsme, la amida, que nous a rappelée le grand rabbin sépharade d'Israël, Shlomo Amar, lorsque nous l'avons longuement interviewé pour Le Progrès, lors de sa venue à Lyon, il y a quinze jours. Durant cette prière, le fidèle fait trois pas en arrière, puis un pas en avant. "C'est un symbole de l'attitude que nous devons adopter face à chacun dans la vie : pour amener l'autre à faire des concessions, il faut d'abord se mettre en retrait, le laisser exprimer son point de vue, lui faire une place. Ainsi peut progresser la paix entre les peuples".
Cette philosophie de la vie, c'est aussi celle de Tibhirine.
Nicolas Ballet